L’herbe semble toujours plus chatoyante de l’autre côté des frontières.
C’est en tout cas ce qu’en porte à croire le titre du livre « Furansu-jin wa ju-chaku shika fuku wo motanai » (littéralement, « Les Français ne possèdent que 10 tenues »). Originellement écrit en anglais par une Californienne et surfant sur l’image idyllique de la Parisienne fashion et bohème que possèdent les Japonais, la publication a cartonné au Japon.
Ayant découvert ce titre dans une librairie japonaise, j’ai tout de suite attribué le succès de celui-ci à l’image qu’il exploite des Français(es), déjà relayée par de nombreux autres ouvrages au Japon : des gens sobres mais raffinés, possédant le secret pour savourer la vie un verre de vin à la main adossé à la fenêtre de leur minuscule mais coquette chambre de bonne. Les éditeurs japonais en ont d’ailleurs rajouté une couche en ajoutant une petite phrase catchy sur le contour du livre : « Pour toi qui ne parviens pas à ressentir une gratitude sincère (face à la vie) ».
Dans le même ordre d’idées, des publications d’auteurs japonaises accrochent le regard du consommateur nippon rêvant d’un ailleurs plus prometteur. C’est le cas de : « Okane ga nakutemo heiki-na furansu-jin, okane ga attemo fuan-na nihonjin« , que l’éditeur ne s’est pas embêté en traduisant lui-même – enfin, sans doute épaulé par Google – sur la couverture du livre : « Le français heureux même sans argent, le japonais anxieux même avec argent ». De la même auteure, on trouve également, « Pari de mitsuketa okane wo kakezu ni jinsei wo tanoshimu hoho » dont la traduction proposée sur la couverture est : « Apprécions la vie sans dépenser comme les Parisiennes ». Dit comme cela, je ne peux m’empêcher de contenir un sentiment d’ironie en pensant au loyer de ces mêmes Parisiennes. Allez, pour finir ce paragraphe de douce raillerie, je ne peux m’empêcher de vous partager mon coup de cœur avec ce dernier titre « Yudetamago wo tsukuranakutemo shiawase-na furansu-jin« , litérallement « Ces Français heureux même s’ils ne savent pas faire un œuf cuit dur ». Et si vous ne me croyez pas allez vous en faire cuire un…
Voilà, maintenant que je me suis gentiment moquée je dois vous avouer que je suis lâche car je n’ai lu aucun de ces ouvrages et qu’il y a sans doute un brin de vérité dans chacun d’entre eux. La vision du monde est toute subjective et il est vrai que les Français ne cuisent pas tous leurs œufs de la même façon.
Evidemment, un titre racoleur est rarement le reflet d’une réalité et plutôt celui d’un marketing savamment étudié. Mais pour l’anecdote, je me suis amusée à prendre l’histoire des « 10 tenues » au pied de la lettre et à raconter ce qu’il m’évoquait à mes amis japonais à travers le dessin ci-dessous.
De par mon vécu quelques années au Japon puis mon retour en France, quel fond de vérité puis-je attribuer aux titres cités ci-dessus ? En y réfléchissant, je me suis rendu compte que j’étais devenue plus attirée par un mode de vie « sobre et heureux » après mon retour en France, mais cela était-il vraiment dû à une différence de culture, de mentalité, de société ? Ou bien étais-ce dû à mon cheminement personnel, à mon âge, mes prises de conscience, et accessoirement des revenus beaucoup moins abondants que durant mon séjour au pays du soleil levant ?
Je me suis d’abord rendue à l’évidence que, comme cela est valable pour toutes sortes de choses, un peuple est constitué de toutes sortes d’individus. En France, comme au Japon, on trouve des gens plus ou moins axés accumulation et consumérisme. Cela dépend des personnalités mais aussi de l’âge, de là où l’on se trouve dans la vie. On peut aussi être sobre dans un domaine mais collectionneur dans d’autres – ci-dessous la mode, pour ne pas la citer…
Dans ce dessin, j’ai cité la méthode « Konmari ». Pour ceux qui ne connaissent pas, il s’agit d’une méthode de rangement rendue célèbre par la Japonaise Marie Kondo à travers son livre La magie du rangement, ouvrage qui a semble-t-il conquis de nombreux propriétaires d’armoires surchargées aux quatre coins du globe. Il est intéressant de préciser que je n’ai pas fait la connaissance de cette méthode au Japon mais en France, sur un groupe facebook branché minimalisme.
Le fait que des Français se raccrochent aux enseignement d’une Japonaise en terme de minimalisme ne vous parait-il pas étrange ? Sans doute pas car, comme beaucoup de Français vous avez peut-être cette image du Japon très « zen », épurée, ou au final sobre comme on peut le voir dans certains livres d’architecture nippone. Indirectement, cette image rejoint celle « saine » et « équilibrée » véhiculée entre autres par le récent succès d’ingrédients japonais tels que le miso, les algues wakame ou le tofu que l’on trouve systématiquement en magasin bio. Mais si vous vous souvenez du début de l’article, vous aurez sans doute noté l’amusant paradoxe entre les Japonais qui jalousent la sobriété des Français et vice versa. Sauf que si la face de la simplicité française se traduit par un verre de vin rouge sur fond de petite robe noire, la frugalité à la japonaise serait plutôt représentée par un moine méditant dans son jardin zen un bol de miso sous la toge…
Comme vous l’aurez compris, si les best-sellers japonais cités en début d’article suscitent dans leur pays de publication un engouement qui peut paraître exagéré, il en va de même pour la fascination envers le Japon que diffusent certains médias français. Sans vouloir entrer dans une critique ouverte de certains ouvrages, j’aimerais quand même en citer deux qui m’ont fait un peu tiquer quant à l’image qu’ils exploitaient du Japon. En effet, cette image n’est pas forcément celle que j’aurais donné du haut de ma modeste expérience de vécu et de relation professionnelle avec ce pays. Pour le coup, ce sont deux livres que j’ai lus et leur contenu me paraît soit dit en passant tout à fait intéressant. Le premier est L’art de l’essentiel de Dominique Loreau, qui a semble-t-il vécu un sacré bout de temps (bien plus que moi d’ailleurs) au Japon et fait allusion dans son ouvrage à la culture nippone en termes de traditions zen, de style épuré et de simplicité. Le deuxième est Layering, secret de beauté des Japonaises d’Elodie Joy Jaubert, où l’on trouve des conseils pratiques pour réaliser sa routine beauté bio avec une poignée de produits naturels. Le côté qui me gène un peu est que j’ai l’impression que le Japon sert de vecteur pour vendre des concepts qui ne sont pas forcément représentatifs de ce pays.
Dans le cas de L’art de l’essentiel, alors oui, pourquoi pas, le Japon est un pays certes marqué par une tradition religieuse prônant plutôt l’absence de superflu (du moins pour les sanctuaires shinto, car du côté des temples bouddhistes, on se croirait souvent plus sur la place du marché tant les babioles y côtoient sans gêne les échoppes de souvenirs). Ceci-dit, au délà du portique rouge, de la forêt de bambou et de son petit balancier d’où ruisselle un minuscule filet d’eau, se trouve souvent un quartier d’affaire avec sa gare débordant d’activité et de bruitages artificiels, ses rues inondées de panneaux et pancartes, ses labyrinthes de boutiques en tout genres proposant tous les produits imaginables, et ses habitations croulant sous un bazar de gadgets et de goodies gratuits. Non, s’il y a bien un endroit perpétuellement mû par un consumérisme déchaîné, c’est bien le Japon. Ceci étant, il faut avouer qu’il y a une chose qui est déroutante et tout à fait propre au Japon, c’est que dans tout ce bazar d’artifices et d’objets, et bien on arrive à trouver quelque part une certaine forme d’ordre, de quiétude et de paix. Si, si.
Dans le cas de Layering, même si je me retrouve complètement dans les conseils prodigués en terme de soins à base d’huiles végétales bio et d’hydrolats, je dois vous avouer que cela me paraît être à des années lumières de ce que j’ai vu comme étant les habitudes esthétiques des Japonaises. Il est vrai, comme décrit dans le livre, que beaucoup de Japonaises respectent un certain nombre d’étapes dans leur routine de beauté et y consacrent d’ailleurs un temps qui pourrait nous paraître démesuré (combien de Japonaises se maquillent le matin chez elles, repassent une couche dans le train, se repomponnent encore à la pause au bureau, et n’osent pas sortir de chez elles non maquillées). En revanche, le penchant pour un rituel minimaliste et naturel en terme de produits me paraît être une tendance bien française. J’ai été choquée quand j’ai lue dans une critique du livre que les Japonaises n’utilisaient ni fond de teint ni produits synthétiques de type bb-cream. Pour ma part, je crois que je n’ai jamais croisé de peuple qui se maquillait autant qu’au Japon et je n’ai croisé aucune Japonaise qui se démaquillait avec la simple et même huile végétale qu’elle mettait dans sa salade. Non, à mon avis les grandes marques de produits de beauté en tous genres n’ont aucun souci à se faire sur leurs chiffres d’affaires au Japon. Mais bon, une fois de plus, je ne connais pas toutes les Japonaises.
Alors, de la France et du Japon qui gagne la médaille du peuple le plus sobre et heureux ? Dois-je donner raison aux auteures de best-sellers japonais en regardant le nombre grandissant de membres dans les cercles « bio », « minimalistes », « alternatifs » et autres bobos ? Mais est-ce seulement parce que je tends moi-même de plus en plus à ce type d’idéal maintenant que je vis en France, alors que j’étais plutôt dans une dynamique matérialiste compulsive dans mes plus jeunes années à l’autre bout du monde ? Car j’en ai rencontré des Japonais « alternatifs ». Des couples qui partent voyager avec un tout petit sac-à-dos, des types qui sont partis retaper une ferme sur une île pour se lancer dans l’autosuffisance alimentaire, des adeptes du mode de vie LOHAS (acronyme de Lifestyles of Health and Sustainability, mot plutôt à la mode au Japon).
Et vous, quelle est votre image du Japon ? Pensez-vous que les Français sont sobres et heureux ? Que peut-on apprendre les uns des autres ?
A votre bonheur simple.
Toutes les illustrations ont d’abord été publiées en japonais sur mon blog et mon compte instagram en japonais.