« Et sinon, tu fais quoi dans la vie ? »

Que ce soit en soirée, chez le médecin, à la crèche, en covoiturage, dans un mariage, au marché… voilà une vaste question, d’apparence banale et pourtant si complexe, qui alimente presque systématiquement nos premiers échange avec de nouvelles rencontres. Si certains semblent maîtriser la chose en déclamant leur intitulé de poste tel un slogan publicitaire, de mon côté, la question ne manque pas de me faire frémir à chaque fois qu’elle pointe son nez.

Après mes études, je suis partie habiter au Japon quelques années et pendant ce séjour-là je n’ai jamais eu de difficultés à me présenter en société.

« Et sinon, qu’est-ce que tu fais ? » « – Moi ? Prof de français »

C’était grosso modo une des réponses les plus probables qu’on aurait pu attendre d’une étrangère dans ce contexte donné et ça ne choquait personne. A vrai dire c’en était même désolant de banalité.

Or, quand je suis rentrée en France, la chose est devenue bien plus épineuse. J’aurais pu alors trouver une case dans laquelle me ranger, un code ROME bien achalandé derrière lequel me cacher. J’aurais pu refaire une formation, passer des concours pour devenir, par exemple, une « vrai prof de français langue étrangère » rattachée à l’Etat ou encore, que sais-je, trouver une nouvelle voie.

Mais cela n’a pas été si simple.

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Si vous avez déjà passé un peu de temps à l’étranger, vous savez qu’il n’est pas forcément facile de revenir. Quand on revient de loin, on ne repart pas de zéro… enfin du moins c’est notre point de vue. Et quand on revient de très loin, on a souvent un peu perdu ses repères. Il faut du temps et de la persévérance pour s’en recréer de nouveau.

Quand je suis rentrée, donc, je me suis naturellement rattaché à des repères connus et par le biais de rencontres et d’opportunités, j’en suis arrivée à me créer une véritable activité autour des connaissances que j’avais acquises et des expériences que j’avais vécues au Japon. Bien entendu, les opportunités en lien avec le Japon ne courent pas les rues – encore moins en province – et j’ai dû me diversifier, ce qui ne m’a pas déplu car cette polyvalence m’a permis de goûter à toutes sortes d’activités professionnelles.

J’ai ainsi enseigné le japonais, aidé des Japonais avec la langue française mais aussi avec la logistique de leur installation en France. J’ai traduit des interventions d’artistes nippons de divers domaines, j’ai fouillé les Archives régionales pour essayer de trouver comment un ingénieur français du XIXe siècle avait participé à l’avènement de la filature de soie au Japon. J’ai traduit des haïkus, des livres d’origami et de broderie en relief. J’ai rendu visite à des vignobles pour des importateurs, accompagné des touristes visiter des fermes de fromage de chèvre, interpellé des personnalités locales pour participer au tournage d’émissions nippones insolites en trait avec l’hexagone. J’ai même vendu des taiyaki (gaufres fourrées en forme de poisson) dans un foodtruck et pris part à l’immortalisation pour la plus grande chaîne nationale de la réalisation d’un cassoulet au natto (haricot fermenté – si, si !) Bref, des fois, je me demande ce que je n’ai pas fait en rapport avec ce cher pays du soleil levant.

Pouvoir mettre à profit tout ce savoir-faire recueilli si loin de la France était inespéré et m’a d’abord rempli de satisfaction. A un seul détail près…

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Loin de l’ennui suggéré par ma réplique de self-introduction de prof de français au Japon, décrire ce que je faisais était devenu un objet de curiosité, voir d’incompréhension. Imaginez-vous arriver en soirée, croiser quelqu’un pour la première fois (lui, il est « chef de projet dans une boite », jusque là, rien de trop délirant) et essayer de lui résumer de manière synthétique (parce que sinon il perdra votre attention), simple (parce qu’il a déjà bu quelques verres) et ludique (parce que bon, on est quand même en soirée) le paragraphe que je viens d’écrire précédemment. Là, vous avez plusieurs scénarios possibles. Soit il a regardé des dessins animés japonais dans sa jeunesse et il sera saisi d’une sorte de fascination aveugle et commencera à poser plein de questions sur le Japon. Soit, le Japon ça ne lui parle mais alors pas du tout et il conclura avec un « Ah ! Cool ! » avant de loucher en direction du bar pour tenter une esquive. Bien entendu, il y a toujours des gens curieux ou qui essaient de s’intéresser à des domaines avec lesquels ils n’ont aucun lieu commun, mais il faut avouer que le Japon, c’est loin, peu de gens connaissent ou s’y intéressent en dehors des mangas et des sushis, et donc peu de gens peuvent vraiment s’identifier avec ce que je leur raconte.

Au bout d’un moment, cela m’a posé problème. J’ai commencé à me sentir en décalage avec mes pairs et, relativement longtemps après mon retour en France, à ressentir les symptômes d’un mal-être lié au retour – autrement connu sous le nom de counter culture shock.

J’ai alors à plusieurs reprises envisagé de faire autre chose, de rompre totalement avec ce que je faisais déjà, sans pour autant savoir où j’allais.

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La question, pernicieuse, revenait sans cesse me titiller les tympans : « qu’est-ce que tu fais de ta vie ? ». En en discutant avec d’autres personnes, je me suis rendue compte que je n’étais pas la seule à éprouver un malaise à essayer de définir ce que je faisais. Certaines de ces personnes, qui pourtant rentraient dans des « cases » et ne revenaient pas d’un séjour à l’étranger, n’aimaient tout simplement pas réduire leur présentation personnelle à l’étiquette d’un emploi qui ne leur correspondait pas. D’autres, comme moi, avaient du mal à assumer d’être dans la polyvalence d’activités. D’autres, encore, cherchaient à tout pris à trouver une définition simple et efficace à donner à leur coiffeur / banquier / belle-famille alors même qu’ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient faire. Ou plutôt ils savaient qu’ils voulaient faire plein de trucs mais ne savaient pas quoi dire pour se définir auprès des autres, sous prétexte que cela n’était pas leur métier. Je me reconnais là-dedans aussi.

En fait, la question est large. « Qu’est-ce que tu fais ? » « Toi, faire quoi ? » On pourrait ne pas se contenter de se définir par son métier mais raconter pleins de trucs qu’on fait au quotidien, que l’on aime, qui nous parlent et dont on a vraiment envie de parler avec nos covoitureurs ou le gars bourré qu’on croise en soirée. Sauf que bien sûr, comme entrée en matière, il est plus synthétique de dire « je suis secrétaire de direction chez Untel », que de raconter « les jours de semaine je travaille à temps plein en proche banlieue, le soir j’aime m’affaler sur le canap pour geeker, parler à mes plantes ou voir des potes et le week-end, je décide souvent au dernier moment, parfois je sors, je joue avec mon hamster ou vais tourner des documentaires amateurs sur les concours de cerf-volant ».

Voilà comment j’en arrive à vous dire ce que je fais, en ce moment (mais encore, je vous cache des trucs 😉 !) Depuis la naissance de ma fille, je passe beaucoup de temps à m’occuper d’elle et j’essaie, malgré la fatigue que cela impose, de savourer ces instants qui parait-il ne durent pas si longtemps. Je profite de l’inspiration que me donne la maternité pour dessiner et j’ai d’abord, avec l’aide d’un ancien collaborateur, lancé un blog illustré destiné aux Japonais (ou du moins, aux japanophones) sur lequel je donne mon regard extérieur sur leur culture.  J’ai rédigé et publié aussi quelques articles dans le même ordre d’idées. Sauf qu’à un moment, je ne veux pas non plus dédier ma vie au Japon (c’est plus fort que moaaaaaaa !). Mais j’ai quand même envie de partager avec d’autres les empreintes qui me restent de cette expérience. Car oui, de nombreux de mes choix (du cododo au fait d’enlever ses chaussures à la maison) ainsi que de mes façons de penser sont encore largement influencées par ce que j’ai vu et vécu au Japon, mais aussi dans les autres pays où j’ai séjourné (Etats-Unis, Espagne, Asie du sud-est, Inde, dans l’ordre chronologique). J’ai donc décidé de faire une contre-traduction de mes dessins destinés aux Japonais et de les publier sur ce site (et cela commence ici avec cet article) ou sur mon profil instagram. J’ai aussi plus que jamais envie de booster ce site et mes articles / illustrations en français. Que fais-je d’autre ? Aaaah, j’essaie de seconder mon conjoint de temps à autre, de faire un semblant de potager, de réduire mes déchets, de coudre des trucs dans des tissus de récup… enfin bref ! La liste serait longue et j’ai peur de vous perdre.

Et vous, que faites-vous dans la vie ?

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